Pourquoi l’église Saint-Thomas de Cantorbéry porte-t-elle le nom d’un Anglais ?

Pourquoi cette église porte-t-elle le nom d’un saint anglais, archevêque de Cantorbury ? Ce Thomas, c’est Thomas Becket, chancelier du royaume d’Angleterre, primat de l’église anglaise, conseiller de roi, précepteur de roi… et assassiné par un roi !
Une histoire digne de Game of thrones, où le prieuré du Mont-aux-Malades joua un rôle central.

 

Pour comprendre cette histoire, il faut remonter à la première moitié du XIIe siècle. C’est à cette époque que le prieuré Saint-Jacques est fondé, sous les auspices de la dynastie Plantagenêt, alors à la tête du duché de Normandie et du royaume d’Angleterre. Dès la fondation en effet, le prieuré reçut des dons de cette dynastie, en la personne d’Henri 1er, qui le dota d’une rente de quarante sous par mois. Dote confirmée par Geoffroi, qui lui succéda comme duc de Normandie, et qui ordonna à son vicomte de Rouen “de payer chaque mois aux Lépreux les quarante sous que leur a donnés le roi Henri, comme sa charte l’atteste.” La bienveillance des Plantagenêt à l’égard du prieuré ne s’arrêtera plus : vers 1145, c’est Henri II, roi d’Angleterre, qui rendait visite au chanoine Nicolas sur le Mont-aux-Malades, quelques années avant de leur permettre d’établir une foire – la foire Saint-Gilles – chaque année du 1er au 8 septembre aux portes du monastère : la moitié des droits forains leur revenait, ainsi que la moitié des droits payés par les marchandises entrant dans Rouen pendant cette période ! Bénéfice énorme encore augmenté par une rente de 60 livres, 6 sous et 8 deniers roumésins, 3000 harengs et 3 mesures de froment à collecter chaque année sur la vicomté et les moulins de Rouen. Non content de cette rente fastueuse, il leur offrit aussi 140 acres de terre dans la forêt de Lyons, le Bullin et une terre dans le pays de Caux ! Le roi annexa le privilège de haute, moyenne et basse justice à cette terre de plus de 600 acres, la seigneurie de La Houssaie-sur-Noinlot, qui comprenait des bois, des prés, des viviers, des moulins…
Chaque année, cette seigneurie transmettait au Mont-aux-Malades comme redevance féodale six boisseaux de pur froment, seize d’avoine, trente chapons, cent œufs, une paire de gants et une paire d’éperons dorés !
Courtisanerie ? Exemple de compassion ? Cette générosité inspira en tout cas toute la famille royale et ducale, de sorte que le prieuré ne cessa ensuite de recevoir des dons des uns et des autres…

Fragment de la charte accordée par Henri II au prieuré Saint-Jacques, leur concédant un droit de foire chaque année.

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C’est dans ce contexte que Thomas Becket entra en scène. Né à Cheapside en 1120 de parents marchands originaires de Mondeville en Normandie, il reçut une solide éducation, à l’école-cathédrale de Canterbury, puis à Bologne, où il compléta sa formation juridique. Cet étudiant brillant, de retour en Angleterre, fut remarqué par Thibaut du Bec, archevêque de Canterbury, qui lui confia plusieurs missions importantes à Rome et le fit nommer archidiacre de Canterbury et prévôt de Beverley. À 35 ans, il était propulsé au poste de chancelier d’Angleterre où il devint un conseiller et un ami du roi Henri II. Ce dernier plaça toute sa confiance en son jeune conseiller, au point de le nommer précepteur de son fils, Henri-le-Jeune, qui alla, comme c’était la tradition, habiter la maison de Thomas Becket.

Le roi Henri II et Thomas Becket, extrait de Chronicle of England, de Peter of Langtoft.

C’est donc tout naturellement que, à la mort de l’archevêque Thibaut du Bec en 1161, la roi se tourna vers son ami fidèle pour ce poste éminent. On rapporte qu’une transformation radicale du caractère de Thomas Becket s’opéra alors : devenu archevêque, le courtisan joyeux aux manières de grand seigneur devint un religieux austère en robe de moine, dévoué à la cause de l’Église, envers et contre tous, et même contre son propre roi… Impressionné par cette nouvelle ferveur qui semblait à toute épreuve, le pape Alexandre III s’en remit alors à Thomas pour représenter l’Église dans le conflit qui l’opposait au pouvoir royal.

En effet, le roi entendait supprimer toutes les exemptions juridiques dont bénéficiait l’Église. Devant le refus obstiné de Thomas Becket, il l’accusa, lors d’un grand conseil à Northampton le 8 octobre 1164, de contestation de l’autorité royale et malfaisance dans son poste de chancelier. Craignant pour sa vie, l’archevêque de Cantorbéry s’enfuit en France et se réfugia à l’abbaye de Pontigny.

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Le prieur du Mont-aux-Malades, avocat de Thomas Becket

Vivant au milieu des moines, menacé par le roi, Thomas Becket entra alors en correspondance avec Nicolas, le prieur du Mont-aux-Malades. Il avait fait connaissance de ce chanoine lorsque, chancelier du royaume, il avait dû séjourner quelque temps à Rouen pour se remettre d’une maladie. Une vive amitié était alors née entre Nicolas, toujours à la recherche de subsides pour ses lépreux, et Thomas, qui offrira plus tard ses chevaux, ses faucons, de la vaisselle et de l’argent aux lépreux du Mont-aux-Malades. Inquiet pour son ami, Nicolas se rendit à Sens où Thomas s’entretenait avec le pape. C’est alors que le prieur devint l’ambassadeur privé de Thomas Becket auprès de la mère d’Henri II, l’impératrice Mathilde, et de l’évêque de Lisieux : leur influence pourrait peut-être raisonner le roi ? C’était une mission cruciale dans ce conflit qui ébranlait l’Europe chrétienne. Malheureusement, malgré la persévérance de Nicolas, elle n’obtint pas les résultats escomptés. Nicolas continua malgré tout à aller jusqu’à la fin de l’année 1164 par monts et par vaux pour plaider la cause de son ami, à qui il écrivit finalement :

À mon vénérable seigneur et père, Thomas, par la grâce de Dieu, archevêque de Cantorbéry, frère Nicolas, salut, avec un tendre et parfait dévouement.
De quelle douleur mes entrailles sont émues quand je contemple à loisir les malheurs de l’Église dont votre magnanimité ne craint pas de porter tout le poids ! C’est ce que ma plume et ma bouche seraient impuissantes à redire. Mais pourquoi vous entretenir des sentiments de mon cœur ? Vous savez bien qu’il ne respire et ne bat que pour vous. La communauté des pauvres de Jésus-Christ que vous avez daigné adopter pour enfants, que la grandeur de votre foi veut avoir pour avocats auprès de Dieu, et que vous avez comblés de vos bienfaits, demeure absorbée dans la pensée de vos douleurs. Sans cesse, ils demandent pour vous des jours moins sombres, et pour l’Église le bienfait de la paix et de la liberté. Ils prient et ils ont la ferme foi qu’ils seront exaucés.
Poursuivez donc avec une ardeur infatigable la tâche que vous avez entreprise, et montrez-vous inébranlable. Du haut des cieux, Jésus-Christ regarde vos combats sur la terre ; vous êtes soutenu par le bon témoignage de votre conscience et les ferventes prières d’innombrables fidèles, qui applaudissent unanimement à votre conduite.
Puisque ces désordres ont soulevé l’orage qui porte la perturbation dans l’Église, je m’étonne que l’épiscopat n’attaque que les plus petits rameaux de l’arbre du mal, au lieu de porter vigoureusement la cognée à la racine même. Par un juste jugement de Dieu, nous n’en avons recueilli que des fruits amers.
Si c’est pour Dieu que vous aimez la liberté de l’Église, il faut manifester, de paroles et d’action, que vous condamnez ces désordres, et exprimer dans vos lettres à l’impératrice la douleur que vous en ressentez. Je le dis en vérité, c’est l’amour de la justice et le zèle de mon propre salut qui me dictent ces lignes.
Si j’ai été téméraire, pardonnez-moi, je vous en conjure, il me tarde de connaître et vos desseins et votre situation.
Tout ce qu’il vous plaira de me commander, je l’exécuterai fidèlement. Pardonnez encore à mon audace et à ma prolixité.

Mais tandis qu’Henri II décidait de saisir tous les biens de l’archevêque et persécutait sa famille et ses amis qui, pour beaucoup, trouvèrent refuge au Mont-aux-Malades, Alexandre III nomma Thomas Becket légat apostolique pour toute l’Angleterre. Cela signifiait qu’il disposait de tous les pouvoirs de l’Église pour représenter le pape, notamment avec les armes redoutables de l’interdit et de l’excommunication. Des armes terribles qui effrayaient même Nicolas :

Avant d’excommunier le roi, écrit-il à l’archevêque, il faut bien examiner jusqu’à quel point vous pouvez compter sur l’appui du siège apostolique. Méditez cette parabole de l’Évangile : Qui est celui qui, voulant bâtir une tour, n’examine pas d’abord mûrement s’il a de quoi l’achever ? Et quel roi, se mettant en campagne pour combattre un autre roi, ne commence pas par faire le dénombrement de ses troupes, de peur que ses projets audacieux n’échouent et ne deviennent un sujet de risée ? Je juge dans ma bassesse, si vous l’approuvez avec ceux qui vous entourent, que vous devez d’abord écrire aux évêques de Normandie que toujours vous avez été, et toujours vous serez prêt à retourner à votre siège, comme à vous prêter à tout accommodement compatible avec votre dignité et avec l’esprit des canons. Les conditions seraient que l’archevêque de Rouen et l’impératrice, se portant médiateurs, comme le pape l’a conseillé, vous obtiendraient du roi un sauf-conduit pour rentrer en Angleterre ; que l’église serait aussi libre qu’avant la contestation et le serment imposé aux évêques ; que vous et vos compagnons d’exil seriez remis en possession de vos biens confisqués. Suppliez les prélats, s’ils ne peuvent obtenir du roi ce que la justice et les canons exigent, au moins de ne point travailler avec lui à la ruine de l’église. Voilà, je crois, ce qu’il faut leur écrire avant de fulminer contre la personne du prince, non dans l’espoir qu’ils feront ce que vous demandez, mais pour leur ôter tout prétexte d’attaquer votre conduite passée ou future. Si vous leur écrivez, envoyez-moi une copie de vos lettres. Quelques-uns conjecturent que vous fulminerez contre le roi, le jour de Sainte-Madeleine. Si cela est, je vous supplie très instamment de m’écrire s’il ne me sera plus permis de prier pour lui, de le saluer, de rien recevoir de sa main, ni de prononcer son nom dans la célébration de la messe ; car je crois qu’il faut mépriser tous les intérêts aussi bien que tous les périls de cette vie, pour observer une censure de l’église dans toute la rigueur des règles canoniques.
Je suis bien déterminé à ne pas même rendre le salut à ceux que vous auriez excommuniés.

La prudence du prieur du Mont-aux-Malades recueillit l’approbation des esprits les plus éclairés du temps, notamment Jean de Salisbury : « Après plusieurs jours consacrés à la prière et à la pénitence, je ne vois point de meilleur parti à prendre que de suivre les conseils de Nicolas, que je crois un homme rempli de l’esprit de Dieu. J’en ai conféré avec vos amis les plus sincères, j’ai consulté séparément, comme vous l’aviez prescrit, Pierre, abbé de Saint-Rémi, Radulphe Écolâtre, Foulques, doyen de l’église de Reims ; tous, d’une voix unanime, approuvent les conseils de Nicolas l’hospitalier de Rouen. »

Thomas Becket, sur l’un des vitraux de l’église Saint-Thomas de Cantorbéry, à Mont-Saint-Aignan. Il porte, à sa main droite, la palme du martyre.

Henri II cependant refusait de reconnaître Thomas comme légat et menaçait tous ceux qui, de près ou de loin, soutenaient l’archevêque. Celui-ci décida donc d’envoyer un premier coup de semonce au monarque, sous la forme de lettres monitoriales et comminatoires confiées à Nicolas. Charge à lui de trouver un messager pour les apporter au roi ! Parallèlement, il prit le temps de s’expliquer au prieur :

Thomas, archevêque de Cantorbéry, à frère Nicolas du mont de Rouen.
Votre fraternité sait avec quelle patience j’ai souffert les confiscations, les rebuts, les affronts que prodigue à moi et aux miens notre très cher seigneur le roi d’Angleterre.
Abusant de notre longanimité, il a couvert d’opprobres la Sainte Église sa mère, l’épouse de Jésus-Christ, et il n’a pas craint de réduire en esclavage celle que le Sauveur avait affranchie par sa mort cruelle et ignominieuse. Je l’ai averti avec la tendresse d’un père ; je l’ai supplié en sujet soumis, je l’ai repris avec l’autorité d’un pasteur. Il a méprisé en moi le père, le sujet, le pasteur, et, ce qui est plus funeste à l’Église et à lui-même, il a méprisé Jésus-Christ même, que je représente.
Qu’il compte pour rien ces crimes, à son ordinaire, j’y consens, si le fils de Dieu n’a pas dit aux pasteurs de son Église : qui vous méprise me méprise, qui vous touche me touche moi-même à la prunelle de l’œil. Le souverain pontife, à ma prière, l’a supplié humblement de rendre la paix à l’Église, il n’a pu être exaucé. Il a fait entendre des paroles sévères, elles n’ont pas été écoutées. Enfin, la trompette apostolique a fait retentir aux oreilles du prince de terribles menaces, et sa foi ne s’est point réveillée. Pour n’omettre aucune tentative, le roi de France, son suzerain et son allié, l’a invité lui-même à la paix. La majesté de son rang ne l’a pas sauvé d’un refus. J’ai sollicité des entrevues avec lui, il a défendu et que je paraisse en sa présence, et qu’il soit fait mention de moi ou de la cause de Dieu devant lui. J’ai député vers lui des personnages vénérables, avec des lettres où je demandais justice pour l’église et pour moi ; j’ai eu recours à la médiation de l’impératrice.
Vains efforts ! Soins inutiles ! Puisque ma patience devient pernicieuse à l’Église, pernicieuse au prince qui tombe de crime en crime, et encore plus à moi-même, qui rendrai compte non seulement de mes œuvres, mais encore du sang de Jésus-Christ et des afflictions de son épouse, sachez et faites savoir à l’impératrice, qu’avec l’aide de Dieu, dans un très court délai, je tirerai contre la personne et les États du roi le glaive du Saint-Esprit, glaive plus pénétrant qu’une épée à deux tranchants, qui châtiera son endurcissement et réveillera son âme endormie d’un sommeil de mort.
Priez l’impératrice de me pardonner ; je ne puis dissimuler plus longtemps ; si son fils ressuscite un jour, si, docile aux conseils maternels, il cède à la volonté divine, il me trouvera toujours prêt à lui obéir, sauf l’honneur de Dieu. En attendant, je pleure avec elle la perte d’un fils dont le salut et l’honneur me sont aussi chers qu’à elle-même.
Je ne puis tracer ces lignes qu’en sanglotant, qu’en les mouillant de mes larmes, et en proie à des douleurs non moins cruelles que si mes entrailles, divisées par le tranchant du glaive, ressentaient l’atteinte d’un fer meurtrier. Dieu m’en est témoin, lui à qui nul, par une tendresse impie, ne peut préférer son père, sa mère, ou son roi. Saluez nos frères, exhortez-les à prier pour obtenir, à moi l’esprit de conseil et de force, au roi l’esprit de componction et de pénitence qui le réconcilie avec moi et avec l’église.

Menacé d’excommunication et d’interdit, Henri II choisit la manière forte et promulgua des ordonnances royales menaçant quiconque se plierait aux commandements du légat :

Si quelqu’un est surpris portant en Angleterre des lettres d’interdit ou d’excommunication, qu’on lui coupe les pieds, s’il est religieux, qu’on l’abandonne en pleine mer, seul et sans rames sur une barque usée et disloquée. S’il est clerc, qu’on lui crève les yeux, et qu’il soit fait eunuque. S’il est laïque, qu’il soit pendu. S’il est lépreux ou gardien de lépreux, qu’il soit brûlé vif. Si un évêque, craignant l’interdit, veut sortir d’Angleterre, il ne pourra emporter que son bâton de voyage. Tous les bénéficiers qui étudient sur le continent repasseront aussitôt la mer, ou seront à jamais privés de leurs bénéfices et bannis de leur patrie. Tout prêtre qui, en cas d’interdit, refusera de chanter l’office divin, sera fait eunuque et privé de tous ses bénéfices.

Ses mesures durent faire effet sur ses sujets anglais et normands car Nicolas répondit peu de temps après à Thomas Becket :

Soyez bien certain que nul ne sera assez hardi pour dire un seul mot de vous en présence du roi. » Henri II avertit ensuite le pape que si une excommunication était prononcée contre lui, il n’hésiterait pas à provoquer un schisme. Le pape céda et, tout en conservant Thomas archevêque de Cantorbéry, il lui retira sa légature. C’était un coup dur pour Thomas, à qui Nicolas envoya quelques mots de réconfort : « À Thomas, archevêque de Cantorbéry, Nicolas du Mont de Rouen, salut et force en celui qui dissipe les complots des nations, déjoue les efforts des impies, et renverse les puissances de la Terre. Acceptons avec joie de la main du Seigneur la coupe remplie d’une salutaire amertume. Ne craignez ni les menaces des tyrans, ni la vengeance des sages selon la chair, ni la perfidie des traîtres, ni l’inconstance ou l’avarice de ceux qui cherchent partout leurs intérêts, et jamais ceux de Jésus-Christ.

En proie aux persécutions, Jean de Salisbury se tournait lui aussi vers le prieur du Mont-aux-Malades.

N’allez pas croire que je vienne vous accuser, vous qui m’avez donné mille preuves de fidélité et de dévouement ; je viens seulement déplorer avec vous le malheur arrivé à nos amis, malheur d’autant plus grave, qu’ils ne s’aperçoivent pas qu’il est presque irréparable. Les philosophes payens ont beaucoup loué la vraie et sincère amitié dont vous êtes un parfait modèle ; ils l’ont regardée comme un bien préférable à la vie même. Selon moi, cette amitié n’est autre chose que la charité, sans laquelle, selon la foi catholique, nul ne verra Dieu. Avec quelle douleur je vois mes amis déchoir de cette vertu ! Il est rare d’en trouver un aujourd’hui qui ne se croie autorisé à la blesser par des motifs de chair et de sang, par la nécessité de conserver ses biens ou d’éviter les persécutions du pouvoir. Si quelqu’un prétend que ces raisons sont légitimes, je le tiens pour hérétique, et je déclare à la face du monde qu’il faut l’éviter comme tel. Nous les connaissons trop ces futiles raisons, moi qui touche à la sixième année de mon exil, et l’archevêque de Cantorbéry qui est dans sa quatrième. À la honte de nos Anglais, c’est encore à ses dépens et aux dépens d’une nation étrangère qu’il combat pour la liberté de l’Église, pour la vie de ses ministres, pour le soulagement du peuple, et nul ne s’occupe de lui ; nul, dans toute l’Église d’Angleterre, ne songe à venir au secours de Pierre et des disciples qui rament péniblement. Ils craignent les délateurs, direz-vous, mais ne savent-ils pas tromper la vigilance des délateurs en mille autres cas ? Nul n’est tenu en conscience d’obéir aux caprices du roi ; il est clair cependant qu’on le craint plus que Dieu même. Lorsque Dieu et le roi commandent deux choses contraires, peut-on douter auquel des deux il faut obéir ?
Lorsque le calme sera rendu à l’Église, comment ceux-là oseront-ils paraître, qui, témoins de ses dangers et tant de fois appelés à son secours, ne font rien pour la préserver du naufrage ? Et ne pensez pas que je parle ainsi pour solliciter des secours ; par la grâce de Dieu et la générosité de mes anciens compagnons d’études, je suis dans l’abondance de toutes choses ; Dieu sait que j’ai voulu seulement rappeler la loi de la charité.

Thomas Becket, représenté dans The history and antiquities of the parish of Lambeth, and the archiepiscopal palace, par Thomas Allen en 1827.

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Le roi semblait avoir gagné la partie : Thomas était en exil, ses partisans étaient abandonnés de tous, isolés, sans soutien, et l’Église d’Angleterre s’était soumise au roi.
Mais c’était sans compter avec l’indignation internationale : de tous côtés montaient les protestations des clercs et des princes d’Europe contre la faiblesse du pape. Celui-ci fit volte-face une nouvelle fois en rétablissant Thomas dans tous ses pouvoirs de métropolitain et de légat. Des pourparlers engagés avec le roi permirent même à Thomas Becket de retourner dans sa cathédrale de Cantorbéry. La situation se stabilisait, dans un compromis attentiste.
Dans ce conflit qui cristallisait la lutte entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, le chanoine Nicolas avait joué un rôle de premier plan, ne comptant pas sa peine pour réconcilier l’un et l’autre. C’est pourtant à cette époque qu’on perd sa trace. Est-il mort ? A-t-il été châtié par le roi ? Nul ne le sait. Toujours est-il qu’on ne trouve plus de documents mentionnant son nom. On ne peut que constater qu’un autre prieur, Herbert, est nommé vers 1172 au Mont-aux-Malades.

Si Nicolas disparut anonymement dans les limbes de l’histoire, la fin tragique de Thomas Becket retentit quant à elle dans l’Europe entière. C’est une plainte du roi, lancée à la cantonade, qui la provoqua. Exaspéré par le retour du légat, Henri II s’exclama en effet : « N’y aura-t-il personne pour me débarrasser de ce prêtre turbulent ? »
Cette question équivoque fut interprétée comme une requête royale par quatre chevaliers anglo-normands. Reginald Fitzurse, Hugues de Morville, Guillaume de Tracy et Richard le Breton se précipitèrent vers Cantorbéry, pénétrèrent en armes dans la cathédrale à l’heure des vêpres, et s’écrièrent, l’épée à la main : « Où est le traître ? Où est l’archevêque ? »
Thomas s’approcha et répondit : « Je suis l’archevêque et non point un traître, que voulez-vous ? » À ces mots, ils transpercèrent de leurs lames Thomas Becket, qui mourut ainsi assassiné dans sa propre cathédrale, le 29 décembre 1170.

L’assassinat de Thomas Becket, illustré dans un Book of Hours du XIVe siècle.

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Ce fut un scandale inouï dans toute la chrétienté et Henri II, qui endossait la responsabilité de ce crime, effectivement ordonné ou non, voyait tout le monde, et même sa famille, se détourner de lui. Bientôt, les catastrophes s’accumulèrent : la France, l’Écosse et la Flandre levaient des troupes contre lui, ses barons se révoltaient, de même que ses propre fils, Henri et Richard Cœur-de-lion, encouragés par leur mère Éléonore de Guyenne…

La foi et les intérêts politiques se mêlant, c’était une coalition de tous qu’Henri II voyait se dresser contre lui ! À l’inverse, Thomas Becket devenait le symbole de la lutte contre le pouvoir royal : à Cantorbéry, les habitants organisaient des fêtes solennelles deux ans seulement après sa mort, tandis que le pape Alexandre III le proclamait saint et martyr le 21 février 1173. Partout on multipliait les hommages : la maison du père de Thomas de Cantorbéry était transformée en hospice, une autre encore était édifiée à Londres, pour les pauvres et les malades, en l’honneur de Dieu et du bienheureux Thomas, et des pèlerins venaient se recueillir à Cantorbury.
Bientôt, Henri II imputa tous ses revers au meurtre de Thomas de Cantorbéry et fit pénitence publique : il vint pieds nus, en suppliant, au tombeau de Thomas, s’y prosterna pendant un jour et une nuit et fut flagellé par quatre-vingts évêques et religieux. Les chroniqueurs signalent que, alors même qu’il se repentait près du tombeau, ses généraux firent prisonnier le roi d’Écosse. Un signe de la Providence, à ses yeux, qui le poussa à se mettre en campagne : en trois semaines, la rébellion était éteinte en Angleterre. Il se dirigea ensuite vers Rouen, assiégée par le roi de France, Henri-le-Jeune et le comte de Flandre, et libéra sa capitale normande. C’était un succès inespéré ! En quelques mois, suite à la dure pénitence qu’il s’était infligée pour l’assassinat de Thomas de Cantorbéry, Henri II avait rétabli la situation.

En 1174, quatre ans après le meurtre de Thomas Becket, le prieuré Saint-Jacques du Mont-aux-Malades revenait sur le devant de la scène : en reconnaissance de ses victoires, qu’il attribuait à l’intercession de son ancien ami, le roi Henri II fit construire une nouvelle église, qui fut baptisée Saint-Thomas de Cantorbéry.

La vie de Thomas Becket, sur les vitraux de l’église Saint-Thomas de Cantorbéry

Le roi Henri II accuse l’archevêque de Cantorbéry de malfaisance, devant les évêques anglais qui approuvent leur souverain.

Thomas de Cantorbéry rencontre le pape dans le monastère de Pontigny.

Thomas de Cantorbéry reçu, à son retour d’exil, par les habitants de son évêché. On peut noter que le vitrail porte les armoiries de la famille de Claze, les anciens châtelains de Mont-Saint-Aignan.

Le martyre de saint Thomas de Cantorbéry.
En haut de la verrière, on peut voir Henri II offrir, en expiation de son crime, l’église de Mont-aux-Malades.